mercredi 9 mars 2011

Écouter la guitare


On a tendance à trop écouter la guitare (et à trop regarder la danse) et à ne pas assez écouter le chant. Cela dit, il faut reconnaître que cet instrument est fascinant. À lui tout seul, c'est tout un orchestre : percussions, mélodie, harmonie... tout y est. C'est d'ailleurs pourquoi c'est souvent raté quand on veut y ajouter un autre instru : la guitare remplit déjà tout l'espace.



Il ne faut pas trop écouter la guitare, donc, mais il faut savoir l'écouter. Et pour cela, connaître ses qualités et ses limites.

Ses qualités, j'en parlais en intro, c'est sa complétude musicale. Mais c'est aussi sa simplicité d'apprentissage :

On a coutume de dire que c'est un instrument difficile. Certes, comme tous les instruments, et comme tout art, la recherche et la marge de progression est infinie. Mais à la différence d'instrus plus complexes, on en tire quelque chose quasiment immédiatement. Les premiers pas sont enfantins et le son est tout de suite joli. C'est un instrument gratifiant pour le musicien. D'autant plus que sa fonction est essentielle dans nombre de formations musicales.

Autre avantage, c'est un instrument pas cher. Mine de rien, sociologiquement, ça fait une énorme différence. C'est un instrument de pauvre, comme la trompette ou l'accordéon. La guitare est donc accessible à n'importe qui.

Maintenant, ses limites.

D'abord, on ne peut pas tout faire sur une guitare. C'est par exemple beaucoup plus limité que sur un piano. On doit ruser avec ses limitations physiques. Et ça peut donner lieu à des éclairs de génie, comme ces accords ouverts très tendus, qu'on n'aurait jamais eu l'idée de faire sur un piano et qui nous sortent tout naturellement à la guitare.

Mais pour revenir plus précisément au flamenco, la guitare est aussi un instrument "tonal". Les notes et les accords sont calibrées à l'avance par le système des sillets sur le manche, qui bloquent la corde en un point précis de celle-ci. Ça veut dire qu'on ne peut pas faire de quart de ton, ni des glissés progressifs. De même, l'enrichissement des accords doit se faire par demi-ton.

Or le chant est proprement "modal", il supporte des mélismes et des quarts de ton. De plus, il part part d'une note unique, "tourne" autour et y revient toujours à la fin. Résultat : certains chants sont littéralement impossibles à harmoniser à la guitare. C'est pourquoi les chanteurs ont choisi de se libérer de la guitare pour interpréter notamment les martinetes et tonas.

Mais ça veut dire aussi que même quand il y a la guitare, plus le guitariste en fait (mélodies, changements d'accords, harmonies jazzy...) plus le chanteur sera contraint par la guitare et plus ses possibilités seront limitées. Le bon accompagnateur est donc celui qui souligne et suit sans en rajouter. Il n'intervient réellement que dans les blancs du chant. Certains trouvent malheureusement cela "ennuyeux" et éprouvent le besoin de voler la vedette au chanteur. C'est toujours plus compliqué de faire simple...

Pour ce qui est de la guitare solo, c'est certes moins contraignant, mais c'est en même temps très compliqué de jouer "flamenco".

Le côté flamenco peut se révéler dans la composition ou dans le soniquete.

La composition : il y a deux grandes façons de composer un morceau de guitare flamenca.
- un alignement de falsetas (courtes ou moyennes) sans rapport les unes avec les autres, c'est ce que fait par exemple, avec brio, Moraito Chico :

- un véritable morceau qui se tient, avec une progression et des phases qui se répondent. Là, je ne sais pas quoi vous mettre, il y en a plein. Tenez, voilà par exemple Recuerdo a Patino, de Paco de Lucia dans les années 70 :


Notez que la première formule est plus naturellement flamenca. Car dans la seconde, on a vite fait de tomber dans l'écriture pure et chercher le mignon plutôt que le flamenco. C'est une critique toute perso que j'adresserais à Vicente Amigo qui est selon moi trop dans la petite mélodie mielleuse. Exemple :

Bon, mais je ne veux pas donner d'opinion trop définitive, car Vicente Amigo me captive littéralement par son soniquete. Écouter ce son qu'il a au pouce et cette pulsation, ça met vraiment en transe. Ça c'est flamenco.

Conclusion : l'idéal est donc de trouver un juste milieu tout en restant flamenco. En définitive, peu savent le faire. Un qui sait sans aucun doute, c'est le plus grand de tous, dont les dernières compos sont des modèles du genre. Limite on pourrait dire que ce n'est plus de la guitare, à ce niveau c'est carrément du chant :




Je vous renvoie à ses derniers albums, Luzia et Cositas buenas.

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