samedi 26 mars 2011

Écouter le chant

Je ne savais pas par quel bout prendre ce billet. Il faut dire que le sujet est vaste et complexe. D'abord quel chant ? Qu'est-ce qui définit le chant flamenco ? D'où ça vient ? Quelles sont ses évolutions actuelles ? Trop compliqué...

Et puis je suis tombé par hasard sur cette vidéo du jeune espoir de Jerez Jesus Mendez, neveu de la célèbre Paquera de Jerez (qu'on ne doit pas se lasser d'écouter) :



Et ça devient soudain plus simple.

D'abord le contexte : on est à Jerez, apparemment dans le quartier de la Plazuela. C'est probablement la semaine sainte, mais peut-être pas, on sort parfois les Christ et Vierges pour d'autres fêtes.

Tout le monde est sur son 31, on s'est préparé toute l'année pour promener le cortège. Or, il est de tradition dans le Sud de l'Espagne d'accompagner la procession par des chants de type religieux : les Saetas.

Avec la Saeta, on est à la frontière entre le flamenco et les chants d'Eglise, tout comme avec un Martinete ou une Taranta, on est au confin des chants de forge, de mine et d'usine. Il arrive qu'elle soit interprétée de façon beaucoup plus monotone, avec par exemple des tambours et des trompettes.

Mais là précisément c'est son caractère intrinsèquement flamenco qui m'a frappé.
Toutes les techniques et les structures du chant flamenco y sont.

D'abord, la technique :

On remarque que tout le corps est mobilisé, y compris jusque dans les attitudes (chanter de face ou tourner les tallons).

C'est au niveau de la poitrine que ça se passe : la colonne d'air est soit totalement ouverte et il chante à pleins poumons, soit elle est contractée pour laisser la place aux mélismes torturés typiques.

Dit comme ça, ça perd peut-être de son charme. Mais il faut comprendre que c'est dans cette seconde situation que naît l'émotion.

Evidemment, c'est aussi dans un ensemble de ces deux choses : un chanteur qui chante "contracté" tout le temps est encore pire que celui qui se prend pour Pavarotti. Pavarotti qui chanterait du flamenco, ça donnerait un truc proche de ce qu'était la fameuse Paquera de Jerez...

En revanche c'est bien dans ce que ne fait pas Pavarotti que se trouve l'essence du flamenco : la contraction et la torsion voulue du corps pour imprimer à la voix toute sa douleur, extraire le dernier jus du son, là où ce n'est plus de "musique" qu'il s'agit...

Il y en a qui appellent ça el sonido negro, d'autres el duende. Lorsqu'au cœur du mélisme le plus distordu, le plus comprimé, presque sangloté, l'espace d'une fraction de seconde, le son ne passe plus par vos oreilles pour atteindre la conscience, c'est l'énergie elle-même qui vous touche directement.

Si la musique est une science, alors on est là à une échelle quantique : les règles du "beau" ou du "consonant" cessent de s'appliquer. On ne peut plus décrire clairement ce qui se passe.

Cela est de première importance pour apprécier le chant flamenco. C'est d'ailleurs pourquoi le flamenco ne peut pas vraiment s'écrire. Seules l'émotion, l'écoute et l'imitation permettent de le reproduire.

Sur la structure, maintenant :

Elle aussi est typique du flamenco. D'abord, la letra est courte mais très étirée :

Al son de ronca trompeta
Y a la voz de un pregonero
El pueblo se escandaliza
El pueblo se alborotaba
De la muerte amarga
Del Nazareno

et surtout, il répète à la fin (c'est tout l'effet, justement) :

Al son de ronca trompeta
Y a la voz de un pregonero

Alors pourquoi cette répétition est un effet ?

On peut diviser la letra en 3 partie avec une 4e qui est la répétition de la 1ere.

D'abord le quejio ("Ay" du début) pour chercher le bon mode, celui qui va lui faire utiliser toute sa tessiture sans l'empêcher de monter encore si besoin est.

1e partie : Al son de ronca trompetta / Y a la voz de un pregonero. Très étiré, lente et relativement monocorde.

2e partie : El pueblo (...) se alborotaba. Enchaînée directement avec la 1e, plus rapide et un peu plus mélodique.

3e partie : remate avec relâche totale du souffle et mine de s'en aller.

Reprise directe sans souffle vers une nouvelle fois la 1e partie en mode concentrée avec super remate sur la dernière phrase.

Là, c'est ça qu'il fallait voir.

Mince, j'ai déjà fait trop long et je n'ai même pas parlé du rôle social du chant...

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