La Solea por Buleria, à l'envers ou à l'endroit

Comme nous l'avons vu, le compás de la Solea por Buleria est assez "rigide" (c'est-à-dire qu'il est toujours le même, il est fixe), mais le chanteur peut se permettre un certain nombre de fantaisies.

Une letra normale démarre en général après le 12 et le premier accent du chant est sur le 3 (on peut affirmer que le démarrage théorique est sur 1 et demi, même si c'est un peu réducteur). Chaque phrase (vers) de la letra fait environ un compás, c'est-à-dire qu'elle finit sur 10.

Prendre le compas à l'envers

Mais il existe des manières de "décadrer" le chant par rapport à cette structure et de prendre pour ainsi dire le compás "à l'envers". Plusieurs méthodes :

- Commencer la letra (donc chaque phrase de la letra) après le 6, comme s'il s'agissait d'un 12. A la fin, au lieu d'arriver autour du 10, on arrive sur un 4.

- Commencer la letra normalement (après le 12) et laisser à un moment donné un silence d'un medio-compás. C'est ce que fait Capullo de Jerez dans le thème que nous avons étudié.

- Commencer la letra normalement et faire durer l'une des phrases sur un compás et demi. La reprise de la phrase suivante se fait donc naturellement après un 6, on retrouve notre compas à l'envers.

Ce type de structure du chant provient selon moi de l'influence de la Buleria sur la Solea. En effet la Buleria, qu'on enseigne souvent comme un rythme à 12 temps (ce qui reviendrait à la noter exactement comme mon petit dessin ci-dessus, mais avec un tempo plus rapide), doit en fait se compter en mesures de 6 temps. A la fin d'une phrase de chant (ou de guitare), peu importe qu'on soit sur un 10 ou sur un 4. C'est la même chose. On peut par exemple avoir une phrase qui fait trois mesures de 6, qui remate sur la troisième et qui repart comme si de rien n'était sur un compas à 12 temps. Si vous suivez, vous avez compris qu'il manque théoriquement une mesure de six (un medio-compás) pour que le compte soit bon. La Buleria supporte très bien ce genre de libertés par rapport au compás basique.

Ce genre d'effets est également possible dans la Solea (por Buleria ou pas). Mais là, pas question de fermer sur un 4. Donc le compás continue, à charge pour le chant de se rattrapper comme il peut. Soit en faisant durer une seconde phrase, soit en assumant le fait de fermer "à l'envers", ce que fait très bien notre ami Capullo.

Comprendre une letra basique

Elle est en général composée de trois vers durant chacun un compás complet.

Structure globale :

- Premier vers

- Llamada à la guitare (ou à la danse)

- Répétition du premier vers

- Enchaînement avec les deux derniers vers

- Répétition des deux derniers vers

Deux remarques :

- Il faut écouter la respiration du chanteur. Un bon chanteur ne respire qu'à certains moments précis. Il utilise la perte de souffle pour faire sortir l'émotion (ce concept mériterait un billet, rappelez-le moi si j'oublie). Le moment crucial est donc vers la fin, juste avant la reprise de souffle (celle qui précède la dernière syllabe de la letra).

- C'est à cet instant qu'il convient (en accord avec le chant) de marquer les accents aux palmas. De deux choses l'une : soit le cadrage est "normal" et on accentue les temps 1, 2 et 3 du dernier compás, soit on est "à l'envers" et il faut accentuer les temps 7, 8, 9 et 10.

Pour info, la Solea por Buleria que nous avons écoutée ensemble provient du disque de Capullo de Jerez intitulé "Este soy yo" 

Je ne retrouve pas exactement cette Solea por Buleria sur Deezer, alors je vous en mets une autre, issue d'une autre album :

Une autre Solea por Buleria, excellente, d'un certain Antonio el Negro au chant (un illustre inconnu qui n'a rien à voir avec le grand guitariste marseillais que certains connaissent peut-être) et Manolito Parrilla (neveu de Manuel Parrilla, le guitariste historique, notamment de la Paquera de Jerez, et fils de Juan, le propriétaire de l'un des deux tablaos de Jerez), un des meilleurs guitaristes de notre époque.




Ce morceau est issu d'une compilation très intéressante regroupant pas mal d'inédits d'artistes très divers (dont la Buleria solo de Diego del Morao, fils de Moraito Chico) : "Fragua Futura"