lundi 22 février 2010

Entre figures attendues et figures surprises

Si on analyse bien les structures musicales du flamenco, on se rend vite compte d'une part qu'il existe une sorte d'idéal-type de chaque style et d'autre part que ces figures classiques sont relativement peu jouées. C'est d'ailleurs l'une des principales difficultés que l'on rencontre dans l'apprentissage du flamenco : on cherche des formes les plus simples possible, mais on ne les trouve que très difficilement.

En effet, notre gros problème, à nous qui ne sommes pas nés dedans, est que nous n'avons accès qu'à la crème des artistes. Pensez-y un peu : ce ne sont que les meilleurs qui enregistre des disques, qui participent aux grands festivals et qui organisent des tournées internationales. Mais ces artistes-là (les plus connus : Paco de Lucia, Tomatito, Israel Galvan, Diego el Cigala...) ne sont pas non plus nés artistes internationaux. Le fait qu'ils le soient devenus est le résultat d'un parcours personnel parfois sinueux et de la construction à la force du poignet de leur propre génie.

Autant ce résultat est très agréable à écouter ou à regarder, autant il n'est d'aucun secours pour comprendre ce qu'est le flamenco. Au contraire, il faudrait pour cela se remettre dans la situation de ces grands noms enfants, lorsqu'ils découvraient les rudiments de l'art flamenco à travers les fêtes familiales, les peñas, les enfants des voisins sur le pas de la porte, les associations de quartier, les mariages et les baptêmes. Je sais, c'est difficile, mais c'est très important de comprendre qu'on ne peut pas apprendre le "flamenco" avec le dernier album de Paco de Lucia (qui est une tuerie !).

Mais comme on ne peut pas refaire sa vie, il faut ruser, regarder dans les interstices du lustre professionnel. Pour ceux qui peuvent se rendre régulièrement en Espagne, privilégier les peñas de quartier, les petits festivals locaux et surtout les cours de danse (si possible pas trop techniques genre Amor de Dios à Madrid), les académies de guitare, et essayer de s'incruster dans les petites fiestas (c'est un travail de longue haleine)...

Tout cela sert à voir comment le quidam ou l'amateur fait pour que ça sonne flamenco. C'est cela qui est le plus intéressant. Car c'est ce qui vous fera comprendre que la technique est une chose et que le soniquete en est une autre. Considérez que les premiers flamencos n'étaient pas des professionnels, mais plutôt des forgerons, cordonniers, puisatiers, vendeurs au marché... Les premiers guitaristes jouaient avec 2 doigts et 4 accords et c'était déjà du flamenco.

Une fois cela bien intégré, vous apprécierez d'autant plus le dernier Paco... Ce type a réussi a intégrer tout cet héritage en un temps record, tout en acquérant une technique phénoménale - à ce propos, j'en profite pour affirmer ici haut et fort qu'il n'y a aucun secret mystique, le meilleur guitariste de tous les temps est simplement celui qui a passé le plus d'heures à travailler la technique... C'est sur cette base (et grâce à une sensibilité musicale hors du commun) qu'il a pu révolutionner littéralement la guitare flamenca telle qu'on la connaissait. Mais nous devons intégrer le fait qu'on ne sera jamais Paco de Lucia et qu'on ne saisira cet art que par les chemins détournés de l'apprentissage tardif.

Il est très important de comprendre ce paradoxe, car c'est de là que naît l'émerveillement suscité par une belle letra ou une belle falseta (ou un beau paso de danse). Il y a des "tartes à la crème" que l'on peut jouer sans se poser de question. Mais ce qui suscitera le "olé", c'est a de surprendre l'auditoire par des figures originales, c'est-à-dire qui se détachent des formes classiques (tout en restant a compas, bien évidemment).

Cela peut consister, par exemple, à déplacer une sonorité attendue à un endroit du compas vers un autre endroit du compas (exemple au hasard : fermer sur le 8, le 9 ou le 12 au lieu du 10 de la buleria). C'est un jeu très subtil car il s'agit d'innover, de surprendre, tout en restant a compas et en gardant un soniquete flamenco (contre-exemlpe : je peux jouer une fugue de Bach por Buleria, je serai a compas mais ça ne sonnera pas flamenco). Le génie n'est-il pas de savoir rester simple dans la complexité et de faire naître l'originalité dans des formes éculées ?

3 commentaires:

agnès a dit…

C’est vrai Jérémie ce que tu dis et ça vaut pour toute discipline. Observer,écouter,pratiquer et se détacher peu à peu de la technique. D’ailleurs, pour parler danse,le stage avec Andres Pena ce week end à Flamenco en France était tout simplement génial. Bien sûr on a travaillé la technique mais surtout il a insisté sur l’écoute de la guitare et du chant pour comprendre comment tout coordonner avec la danse. Et grâce au cours de compas (merci Jérémie!),j’ai pu suivre plus facilement et en plus on a fait de la buleria! Et là, franchement,ça « swinguait » bien!Je me suis éclatée et ce n’est qu’un début!

"jere" a dit…

C'est super que tu aies fait le stage avec Andres Pena, il est extra ce mec, c'est exactement ce genre d'artiste qui te font comprendre le schmilblick. C'est limpide, c'est "lourd", c'est ancré dans le sol, ça swingue.

La buleria, on s'en fait tout un monde au début, mais finalement, je dirais que c'est le palo le plus intuitif du flamenco...

Anonyme a dit…

ce que je cherchais, merci