mercredi 24 novembre 2010

Claude Worms : les fandangos par le social


Voici un petit résumé de la conférence qu'avait donnée Claude Worms, flamencologue reconnu, dans les locaux de Flamenco en France en 2009 sur le thème des fandangos.
La soirée avait commencé par une projection du film Huelva Flamenca, de Benoît Bodlet et dont voici la bande-annonce :

Le film est très intéressant, il passe en revue tous les styles de chants de la province de Huelva, avec évidemment la part belle aux fandangos. On y voit des artistes confirmés comme Arcangel et des papys paysans qui chantent dans leur champ, des interprétations ultra-flamencas et des danses carrément folkloriques au tambourin (qui sont toutes des fandangos !)...

On y voit surtout des versions tout à fait incohérentes sur les origines et les particularismes des chants de cette province, qui n'ont rien à voir avec les spécialités des autres régions d'Andalousie.

C'est là que Claude Worms est intéressant. Il explique qu'il y a relativement moins de diversité de chants que les gens le croient. Par exemple, il ne suffit pas qu'une letra parle du village de El Pozo pour faire un "style", si la structure musicale est celle d'un fandango dit "de Alosno", alors c'est juste un fandango de Alosno !

Ensuite, il explique que musicalement, les chants de Huelva sont plus "folkloriques" (par exemple, ils sont tous rythmés, jamais libres) et moins "flamencos" (avec des mélodies de chant sur des tons majeurs) que les autres chants d'Andalousie.

La comparaison avec les chants de la province d'Almeria (taranta, minera, cartagenera) ou des chants comme la malaguena ou la granaina est édifiante. Ce sont également des chants de type fandangos, mais presque tous libres et très marqués par l'esthétique flamenca, très "flamenquisés".

La vraie question est donc : Pourquoi dans telle province (Huelva), les chants sont-ils restés folkloriques et rythmiques alors que dans telle autre (Almeria), ils ont évolué très vite vers le chant flamenco profond ?

Comme dans d'autres domaines, l'explication est historique, politique e sociale.

Il se trouve que les deux régions ont un autre point commun : ce sont deux régions minières, où beaucoup de familles d'ouvriers vivent des mines. Mais avec une différence en apparence anodine : à Almeria, les mines sont organisées en petites exploitations familiales alors que 95 % du marché est tenu par d'énormes firmes britanniques à Huelva.

Or, ces grands groupes interdisaient, outre toute activité syndicale ou politique de la part des mineurs, les cafes cantantes. Probablement de peur que les ouvriers n'en profite pour s'organiser ou comploter contre les patrons.


Almeria, en revanche, est pleine de lieux de fête et de musique (tabac, alcool, femmes...). C'est ce tissu social qui va rendre possible la professionnalisation du chant, avec des gens qui vivent de leur art dans les tavernes, ce qui n'existe pas à Huelva, où ceux qui veulent chanter et danser doivent émigrer pour trouver du travail.

Professionnalisation du chant = artistes qui ne font que ça tout le temps, donc qui deviennent forts dans leur art et qui finissent par inventer le répertoire dont ils ont besoin pour déployer leurs compétences.

Peu à peu, des personnalités fortes vont déstructurer le rythme pour laisser place au chant pur, écrire leurs letras, fixer leurs propres codes et inventer de nouveaux styles. Ce sont les chants libres, et on pense notamment à Enrique el Mellizo et à sa malaguena, que beaucoup de gens chantent encore un siècle après...

Bonus, pour se familiariser avec ces chants :





Un immense classique :



Une version guitare moderne par Vicente Amigo :

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